J’avais besoin de ces trois semaines de vacances.
A vrai dire. Peu m’importait l’endroit. Je souhaitais marquer une pause. Et ne plus penser. L’espace de quelques jours. A tout ce qui m’alourdissait.
Comme une fin de saison typique d’une série américaine prévisible. Une accumulation d’événements et de coïncidences me menait à une situation difficile à gérer.
J’étais épuisé. Et j’avais besoin d’un moment.
La situation anxiogène globale concernant le Virus. L’absence de vision claire. Des scènes du quotidien ressemblant maintenant à celles de films de science-fiction. Des masques partout. Tout le temps.
Le petit mal de tête autrefois anodin qui crée la panique et te pousse tantôt à ne pas faire la bise à tes parents vulnérables de peur de les infecter. Et tantôt à vouloir carrément t’isoler au cas où.
Mais tu ne peux pas t’isoler. Tu veux être là pour aider un maximum tes parents qui vieillissent. Parce que tu sais que ce n’est que le début. Et au détour d’une conversation, pour expliquer à une amie ce qu’est Alzheimer, tu mets finalement à haute voix des mots sur ce qui arrive à ton Père.
Chaque jour, il va perdre en autonomie. Et paradoxalement, chaque jour, il ira mieux que le lendemain.
Alors, oui. Tu souris aujourd’hui parce que pendant quelques minutes il t’a confondu avec un vieil ami et t’a demandé en quelle année tu étais arrivé en France. Mais quand ton sourire s’estompe, tu saisis aussi qu’un jour il n’y aura plus rien. Plus un seul souvenir. Ni de ce vieil ami. Ni de toi.
Tu habites le plus près. Et tu vis seul. Tu n’as pas (encore) lancé ta famille. Alors tu te dis que tu dois aider un maximum. Mais tu ne te reposes pas assez. Parce que tu crois comme toujours que tu es invincible et/ou sept personnes à la fois.
Et puis. Les nouvelles au boulot ne sont pas bonnes. Tes perspectives d’évolution au travail s’amoindrissent. Le virus a, là aussi, tout balayé. Et tu apprends quelques jours avant tes vacances que ça ne sent pas bon. Et que c’est bientôt la fin.
Tu souris et tu l’encaisses. Sans réellement en parler. Pour n’inquiéter ni les parents ni les proches. Tu te montres confiant. Tout ira bien. Et tu ranges ça très loin au fin fond de ton estomac là où tu caches tout habituellement.
Et la veille du départ. Tu demandes à une personne de ne plus te suivre sur les réseaux sociaux et de ne plus te contacter. Parce que depuis longtemps déjà tu ne saisis pas pourquoi toi. Pourquoi ces messages. Pourquoi ces interactions compliquées.
Et comme toujours quand tu dois être dur avec quelqu’un. Tu finis par avoir des remords. A imaginer le pire pour cette personne parce qu’il ne poste plus rien depuis. Et à t’en vouloir.
Mais la perspective qu’une personne que tu ne connais pas réellement ait accès à des informations privées, se souvienne en détail de choses sans importance que tu as écris il y a mille tweets, fait que tu t’assieds un instant au milieu de chez toi.
Et que tu te dises que tu dois tout couper.
Alors tu prends l’avion au petit matin et tu souffles un bon coup.
Et trois semaines plus tard, tu reviens.