Le Garçon aux Pieds Nus

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus

18·10·2022

Hier soir, le Frère de ma Belle-soeur, suite à une invitation à me taquiner, a dit qu’il me laissait tranquille. Qu’autant il se permettait de plaisanter avec mes Frères, autant moi, il était clair que l’on devait me laisser tranquille. Il a dit qu’il y avait quelque chose quand on m’observait qui imposait le respect et la distance.

J’ai souri.

Depuis très jeune, j’avais essayé d’instaurer cette muraille entre les gens et moi. J’étais fatigué que l’on m’aborde dans la rue, dans le métro, n’importe où. Que l’on me manque de respect parce que j’avais la voix aigüe, une apparence fragile et un sourire permanent trahissant ma naïveté et ma candeur. Je ne supportais plus que l’on se permette avec moi ce que l’on n’oserait jamais tenter avec une personne que l’on craint.

Et j’ai réussi.

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Je me suis fait beau. Pour cette soirée avec les Garçons du volley. Et j’étais ravi du résultat. J’ai l’impression que je n’avais pas dansé depuis une éternité. Et à presque quarante ans, j’ai l’impression que mon corps s’est rouillé et que j’ai perdu toute coordination. Je me fais l’effet d’être ces gens vieux dont je me moquais plus jeune en allant en boîte.

Je sais aussi que cela vient de ma difficulté à lâcher-prise. Ma peur du ridicule.

C’est comme cela que j’ai pu bâtir ma muraille. En n’offrant plus le moyen d’être la source de moqueries. Mais ce faisant, je sais aussi que je manque parfois de belles occasions de me détendre et de m’amuser.

Je suis devenu un véritable casse-tête pour moi même.

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus

17·10·2022

Un lundi gris où il a fait nuit à 14h.

Le Père de ma Belle-Soeur est décédé la nuit dernière. Dans mon entourage proche, nous perdons un à un nos Pères, depuis deux ans. On oublie que la Mort fait partie de la Vie. Et on y est jamais réellement préparé. Mais chacun montre au suivant que l’on surmonte cet événement. Et que l’on s’en remet comme l’on peut.

Le soir, avec mes Frères, nous sommes allés rendre visite à la belle-famille. Dans nos cultures, ces réunions ne sont pas des moments tristes. La porte est grande ouverte. Ouverte à tous ceux qui souhaitent passer. On y partage un repas, un thé, on discute et parfois on rit entre nous.

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus

12·10·2022

Je n’ai pas bougé aujourd’hui. Je suis resté à la maison et je n’ai rien foutu.

Ma Mère est partie ce matin passer quelques semaines en Algérie. Dans un message qu’elle nous a envoyé en s’installant dans l’avion elle s’est excusée de nous laisser mais elle se sentait trop seule.

Je suis content qu’elle parte un peu, voyage et qu’elle en profite pour aller voir sa famille. Je sais que vivre seule a été difficile depuis la mort de mon Père.

Cette génération a été éduquée à être en famille. De chez tes parents directement jusqu’à ton Mari ou ton Épouse. Dans ton Foyer. Et quand après, quarante-et-un ans de mariage, l’un des deux décède, l’autre doit apprendre à vivre seul.

Et les Femmes comme les Hommes de cette génération en ont rarement fait l’expérience.

Pour moi, évidemment, le message m’a aussi signifié mon échec à être là. Je suis pourtant celui qui passe le plus. Mais je sais que les Enfants comblent comme ils le peuvent. Être présent à 100% est impossible. Il faut se faire à cette nouvelle vie.

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Comment ça se passera pour nous ? J’ai beau être solitaire je me demande souvent comment je le vivrais si jamais c’était ce qui était écrit pour moi.

Ma Mère est très jeune. Et si à 60 ans, je me retrouvais veuf également ? Essaierais-je de combler l’Absence ? Ou est-ce que je m’enfoncerais davantage dans mes travers de personne seule ?

Quel genre de vieille personne serai-je ?

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus, Multivers du Moi

10·10·2022

Après le départ de Kévin Bacon pour le travail tôt ce matin, je n’ai pas pu me rendormir. Je suis allé au salon pour petit déjeuner et passé 10h30 j’ai ressenti un gros coup de barre.

J’ai pris mon sweat en pilou – oui oui -, me suis emmitouflé dedans et, couvert d’un plaid, je me suis endormi. La machine à laver tournait bruyamment. Mais je suis parti loin. Très loin.

Au plus fort de mes rêves à ce moment-là, je me souviens d’une embrassade fougueuse (et plus) avec quelqu’un qui m’est inconnu ici, une ville incroyable et mystique sortant du désert. Je me rappelle de moi, annonçant à une peuplade que je voyais leur divinité-sorcière et pouvais communiquer avec elle alors qu’eux ne le pouvaient pas, et d’avoir dit plus tard, sans rapport avec cela, que la Religion était une supercherie.

Puis mes parents sont entrés. Ma Mère, mon Père et mon Frère qui prit vaguement les traits d’un garçon du volley. À la vue de mon Père, j’ai baissé la tête, et comme il y a quelques jours dans un autre rêve, j’ai pleuré sans m’arrêter. Ma Mère a dit quelque chose à mon Frère. Et deux mots sont apparus comme s’il s’agissait de sous-titres. « Maux » et Mots ». Mais je pleurais encore et encore d’un volume important de larmes.

Je me suis réveillé. La machine était en plein essorage. Mais je n’ouvris pas les yeux. Je sentais des larmes couler. Mais elles étaient sans douleur à la gorge. Elles venaient de là-bas. Elles avaient glissé avec moi dans cette réalité.

Je pensais pouvoir réussir à puiser dans cette tristesse pour enfin pleurer. Après tout, cela faisait deux fois maintenant que l’on me poussait à le faire.

Mais rien. J’ai ouvert les yeux et le flot de pensées de cette réalité est arrivé, noyant petit à petit les souvenirs du rêve, que je m’empressais d’écrire pour ne pas les oublier.

J’ai passé le reste de la journée à presque pleurer. Comme lorsque l’on a un mot sur le bout de la langue. J’avais des larmes sur le bout de yeux. Mais il ne s’est rien passé et je n’en ai parlé à personne.

Ce ne sera pas encore pour cette fois.

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus

09·10·2022

Le weekend calories se poursuit. Tout comme l’Été Indien.

Ma meilleure amie part vivre dans le sud. Et sa Bucket-List est pleine d’endroits à faire à Paris. Et notamment des restos. La facilité quand on habite une ville c’est d’en rester à nos habitudes, nos routines. Lorsque l’on a trouvé un endroit dans lequel on se sent bien, on a tendance à y revenir sans cesse sans chercher d’alternative meilleure.

Des pizzerias, on en testait pas réellement de nouvelles. Tout au plus on se promettait d’en essayer un jour prochain sans réellement le faire. Alors Kévin Bacon a pris les devants et réservé chez Pizzeria Popolare, devant laquelle je passe toujours lors de mes balades dans Paris.

Un repas à un million de calories. Une pizza à la pâte soufflée très bonne et un dessert énorme. Impossible pour moi de remanger le soir venu.

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On m’a demandé récemment si ce n’était pas trop dur de voir déménager mes ami.e.s. Et il est vrai que pratiquement l’essentiel de mon cercle proche a maintenant quitté Paris pour la province.

Comme je n’ai pas de réaction particulière, les gens sont étonnés et se sentent obligés d’appuyer d’un « parce que vous êtes super proches quand même » pour me tirer ne serait-ce qu’une micro émotion. En vain.

Je ne vois pas cette situation de façon triste. Mes ami.e.s partent pour quelque chose de bien. Une vie plus agréable, la recherche d’un renouveau. Pourquoi serais-je triste ?

Je suis là, chez Prêt à Manger, à repenser à cette question. Et je ne comprends pas bien ce que l’on attend de moi. Comment suis-je censé réagir ?

Je me demande parfois si je ne ferais pas mieux de prétendre. Comme me l’avais demandé ma responsable il y a quelques années. « S’il te plait, fais semblant. Ça rassurerait tes collègues. »

Le Garçon aux Pieds Nus

02·10·2022

Je me suis réveillé comme toujours après un rêve marquant. Me repassant et analysant les bribes dont je me souvenais. Mon père était en vie et vieux. Et je me suis assis un instant, pensant qu’il était inévitable qu’il meure. Et tout est sorti. Un flot de larmes. Je pleurais sans m’arrêter.

Une seconde voix commentait ce qu’il se passait et disait que j’avais enfin réussi à tout lâcher. Et que c’était bien et soulageant.

J’ai alors ouvert les yeux tranquillement. Dans la réalité. Celle dans laquelle mon Père est décédé en Mars dernier. Et dans laquelle je n’ai toujours pas réussi à pleurer.

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Expédition garde-meuble pour y récupérer le matelas de Kévin Bacon. Bien plus confortable que le mien. Mon dos me dira merci. Je me lève chaque matin depuis plusieurs mois littéralement plié en deux attendant que mon corps se réchauffe pour ne plus avoir mal. La vieillesse…

Mon frère m’a demandé, pour une formation qu’il avait au travail, de quel animal je me sentais le plus proche et lequel je rêvais d’être si je le pouvais. Lorsque j’ai vu son texto, j’ai tout de suite eu l’image d’une Baleine en tête – notamment ce gif.

Ma réponse l’a surpris. Il me voyait plutôt citer le chat – certainement le côté casanier, ou le renard – mon animal préféré.

Mais j’ai ajouté : un animal imposant qu’on laisse tranquille et qui a la liberté d’aller là où il veut.

Y a-t-il un animal plus serein que la Baleine ?