Le Prince qui court dans la Nuit

Le Garçon aux Pieds Nus, Mélancolie Apocalypse

M11 – c’est épouvantable d’être celui qui se souvient.

J’en parle assez souvent. Je souffre d’hypermnésie.

Je l’ai longtemps perçue comme un don. Mon petit plus. Mon petit pouvoir magique. Qui me permettait de me souvenir à l’infini de détails précis mais aussi parfois quelconques.

Le plus souvent des souvenirs personnels. Des odeurs. Des couleurs. Des dates. Des paroles. Des gestes. Des sensations. Des moments-clés. Des plus embarrassants. Des anodins. Des dérisoires.

Des éléments que tout le monde aurait oublié sauf moi.

Parce que je ne le peux pas. Parce que je n’ai pas la possibilité de sélectionner ce que je souhaiterais « sauvegarder ». Une sorte d’habilité incontrôlée.

C’est épouvantable d’être celui qui se souvient.

On est coincé dans le passé. Perdu dans ses souvenirs. Les pages ne sont jamais tournées. Elles subsistent. Pas un seul jour ne passe sans que l’on ait en mémoire un événement, un lieu, une personne. On est toujours en train de compiler des données révolues.

Compiler. Emmagasiner. Collecter. Sans cesse. Et chaque fois qu’un souvenir ressort. Très souvent de façon inopportune. Le ré-analyser encore et encore.

Et quand cela arrive, je suis persuadé que les gens voient sur ma figure la même roue arc-en-ciel qui apparaît sur l’écran de mon Mac quand il rame.

Et c’est souvent tellement absurde. Et ça bouffe de la place pour rien. Et ça fait mal à la tête.

Ce n’est pas juste d’être celui qui se souvient quand l’Autre peut oublier. Je peux revoir chaque rupture. Mais eux, se souviennent-ils seulement de mon visage, de m’avoir connu ?

C’est la raison pour laquelle je dis que souffre d’Hypermnésie et non que j’en suis doté.

Mais j’ai appris à vivre avec. Et paradoxalement, je serais effrayé à l’idée d’en être dépourvu. C’est à Moi. C’est Moi.

Lorsque je regarde mon Père perdre ses souvenirs les plus précieux chaque jour. Je redoute le jour où je perdrai les miens moi aussi. Et si jamais je devais à mon tour être atteint d’Alzheimer, est-ce que ce serait encore plus grave chez moi qui suis hypermnésique ? Est-ce que je les perdrais plus rapidement ?

Bloguer devait me permettre de me libérer un peu l’esprit en évacuant mes souvenirs et en les mettant en forme pour que je puisse les classer et les archiver. Mais avec le temps, je crois que bloguer m’a avant tout permis de les mettre en sécurité. Pour les jours où je n’y aurai plus accès.

C’est effrayant d’être celui qui se souvient. On a accès à un musée rempli de souvenirs qu’on est maintenant le seul à posséder. Pour se remémorer sans cesse des personnes qui nous ont, elles, potentiellement oublié.

Le Garçon aux Pieds Nus, Psithurisme Nostalgique

M03 – c’est étrange de se dire que l’on a le même âge que ces gens vieux.

38 ans. Hier.

Est-ce que c’est bizarre de se dire que l’on a le même âge que des gens vieux ? Ou est ce que c’est normal de penser que je suis plus jeune, tout en ayant le même âge que des gens vieux ?

Même si la photo prise en Septembre sur la colonne à gauche me montre sous mon meilleur jour; mon corps a morflé. Mes cheveux ont péri. Et ma barbe s’est parée de blanc. Mais j’accepte cette évolution.

Vieillir physiquement ne m’ennuie pas. Je n’avais jamais réellement compté sur mon physique de toute façon. Remerciements : les gens qui ont passé mon adolescence à dire à mes frères qu’ils étaient beaux et moi, « gentil ».

Non moi, j’avais juste peur de devoir perdre avec l’âge mon côté loufoque et gamin. Je voyais cela comme une issue inévitable.

Vieillir cela signifiait être sérieux et responsable. Gris.

A mon âge. Mon Père était déjà marié. Il avait même déjà plusieurs enfants – je suis issu d’un second mariage quelques années plus tard dans sa vie. C’était un adulte avec un travail. Il portait un costume du lundi au vendredi. Il conduisait. Il était moustachu-Magnum, cheveux impeccables. Barbe rasée de près tous les matins.

Pas une magical girl qui se saoule au coca, quoi, et qui n’attend qu’une chose : que le Tango rouvre pour aller danser.

Mais je ne souffre pas de cette comparaison. J’aime cela. Je suis suffisamment vieux de corps et d’esprit pour être serein dans ma vie. Et suffisamment jeune de bêtises et délires pour continuer à m’amuser. Serait-ce cela le stade daddy ?

Bon, je sais quand même qu’il me faudra quatre jours à me remettre d’une nuit blanche au Tango, que j’y croiserai des jeunes qui auraient pu être mes enfants et que là-bas je ne connaîtrai même pas un cinquième des chansons qui passeront, mais je suis prêt !

Je suis prêt.

Journal de Bord Éternel, Le Garçon aux Pieds Nus

iwak #26 – cacher.

Je crois que la chose que j’ai le plus cachée. C’est Moi.

Le Monde est si dur. Brut. Fait d’angles et d’épines. J’ai toujours tout fait pour me protéger.

J’ai d’abord caché que j’aimais les garçons. Parce que je l’ai su très tôt. J’avais peur des représailles. Mais la vérité. C’est que j’étais trop différent pour masquer quelque chose qui saute aux yeux.

Je devrais d’ailleurs écrire « différente ». Puisque j’ai longtemps tenu secret le fait d’avoir eu du mal à grandir dans un corps de garçon.

J’en parle beaucoup plus facilement aujourd’hui parce que ma bataille est enfin terminée. Mais elle a été dure et elle s’est faite seule. Ou seul. Je ne sais même pas ce qu’il convient d’écrire ici.

J’ai donc très tôt caché mon corps. J’étais en avance. Mon corps se transformait. Mais je ne devenais pas une fille. Et c’était effrayant.

Je crois que mon amour des Magical Girls vient de là. Voir ces petites filles devenir des femmes en utilisant une formule magique. C’était ce que je voulais. Mais j’étais un petit garçon.

Et je suis devenu un jeune homme. Puis un homme. À me voir aujourd’hui, on ne pourrait pas se douter de tout cela. Puisque je suis maintenant plutôt en paix avec mon corps.

C’est amusant d’écrire cela ici. Alors que ce blog est également l’une des choses que je cache. Je ne pourrais plus vraiment y écrire et m’y confier s’il venait à être lu par des proches.

Ce blog est mon journal intime. Et je le dissimule sur internet comme l’on planquerait son journal sous son matelas.

Au fond. C’est aussi surtout mes propres sentiments que je camoufle. Et c’est finalement ici que j’arrive à les enfouir.

Le Garçon aux Pieds Nus

iwak #25 – copain, copine.

J’ai grandi avec un sens très particulier de l’Amitié. Je le voyais comme ce lien indéfectible qui unit les Chevaliers du Zodiaque ou les Guerrières de la Lune.

Je n’ai jamais eu de mal à m’entourer. Je pouvais aller me balader et me faire des amis en claquant des doigts. C’était tellement simple.

J’ai longtemps préféré la compagnie des filles à celle des garçons. J’avais toujours plein de copines.

Il y a eu mes copines de Primaire. Celles du Collège. Puis celles du Lycée. Toujours de jolies filles, fortes et en avance sur leur âge. Je les regardais se développer et grandir, et je rêvais de devenir comme elles.

Mais, je grandissais dans l’autre direction.

Être un jeune ado gay dans les années 90. C’est garder secret qui vous êtes réellement. Vous préserver et vous protéger par peur. Peur de quoi ? Bonne question. Secret ou non, vous êtes, de toutes façons, quotidiennement l’objet de méchancetés et de petits noms bien attentionnés.

« Lavette » au primaire.
« Pédale » au Collège.
« Pédé » au Lycée.

Les amitiés alors ne sont jamais les plus profondes. Et vous évoluez de groupes en groupes. Pour ne jamais être démasqué. Comme si vous étiez un vampire ne vieillissant pas et changeant de ville pour n’éveiller aucun soupçon.

Comme si vous souhaitiez échapper à LA question.

La question. Finalement. C’est Liliana. Au Lycée. La première à me l’avoir posée de but en blanc. De façon si naturelle mais à la fois tellement violente pour moi.

Je n’étais pas prêt. Alors j’ai dit non. Et j’ai changé de groupe.

J’ai fini par rencontrer Les Filles à la fac. Celles qui sont devenues mes meilleures amies. Cette fois-ci, j’étais prêt. Alors j’étais vrai. J’étais moi. C’était en 2001.

Et nous sommes toujours ensemble.

Multivers du Moi, Psithurisme Nostalgique

iwak #19 – étourdi, tête qui tourne.

Fin Novembre 2017. Je me couche un dimanche soir, un peu fébrile. Je me dis qu’un Fervex et une bonne nuit de sommeil me feront du bien. Je me réveille difficilement le lendemain et décide d’annuler tous mes déplacements professionnels.

Cela empire dans la journée.

Pendant cinq jours, la pire angine de ma vie. Fièvre, tête qui tourne et délire.

Et au plus fort de l’angine, alité, j’étais persuadé que nous étions sept dans mon lit, moi inclus.

Sept moi-s.